Responsabilité contractuelle et l’incidence de la crise du Covid-19
- arborescence17
- 28 nov. 2020
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Par Ilya Pavlovitch Golovtchenko
En cette période inédite, où la liberté de circulation est restreinte, et où surtout la vente des produits du commerce non essentiels est interdite, l’application du régime de responsabilité contractuelle est au coeur du débat.
« Je n’ai plus rien. Je suis à découvert » en témoigne un commerçant qui fait face à ses galères financières depuis le début de la crise sanitaire du Covid-191. En effet, les commerçants comme lui sont nombreux à souffrir en silence et il est évident que la crise du Covid-19 allait produire des effets juridiques fâcheuses pour l’économie.
Le terme de la « responsabilité » est défini, comme le précise Flour et Aubert, par une obligation de répondre de certains de ses actes et de réparer le préjudice cause à autrui par son fait ou par le fait de ceux dont on a en charge ou à la surveillance. Le terme « contrat » est défini à l’article 1101 du Code civil comme étant un « accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Ainsi, le terme « responsabilité contractuelle » pourrait être définie comme une obligation portée par les cocontractants d’un contrat en cas de mauvaise exécution partielle ou totale de ses engagements contractuelles2, à l’inverse de la responsabilité délictuelle qui elle, est définie par une obligation d’un individu de répondre de ses actes lorsque ceux-ci ont entraîné une situation portant préjudice à autrui3. Cependant, le Covid-19 ou le « coronavirus » est une maladie infectieuse découverte récemment ayant des symptômes bénins ou modérés. La responsabilité contractuelle, contrairement à la délictuelle, suppose la présence d’un contrat. Le champ d’application de la responsabilité contractuelle exclut donc toute présence d’un régime de la responsabilité délictuelle, ainsi que le régime spécial de responsabilité civile, notamment celui de la loi du 19 mai 19984 (responsabilité du fait des produits défectueux), celui de la loi du 5 juillet 19855 (accidents de circulation) et celui de la loi du 30 décembre 20026 (responsabilité médicale).
Dans ce sens, la question qui se pose ici est la suivante. Existe-t-il des fondements juridiques dont les commerçants pourraient s’en servir afin d’échapper à la responsabilité contractuelle pendant la crise sanitaire du Covid-19 ?
L’intérêt de répondre à cette question est primordiale. En effet, les commerçants sont touchés de plein fouet par les effets juridiques néfastes de la crise sanitaire. Il est donc utile de mesurer ces effets juridiques sur l’activité économique, plus particulièrement sur le droit des contrats, afin de voir s’il y a des solutions pour les commerçants d’y échapper.
À titre liminaire, il convient de faire quelques précisions sur la loi applicable aux contrats applicables pendant la crise sanitaire. Aux termes de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 20167 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ratifiée par la loi du 20 avril 20188, les dispositions de cette ordonnance entrent en vigueur le 1er octobre 2016. Elles sont applicables aux actes et faits juridiques postérieurs à cette date. Cependant, les contrats litigieux frappés d’inexécution pendant la crise du Covid-19 et conclus postérieurement au 1er octobre 2016, sont soumis aux dispositions du nouveau Code civil. En revanche, s’il s’agit des contrats conclu avant le 1er octobre 2016, il faudrait alors appliquer les dispositions de l’ancien Code civil.
En examinant l’invocation des conditions de la responsabilité contractuelle pendant la crise du Covid-19 (1) il faudrait voir s’il existe des fondements juridiques permettant d’écarter le régime de la responsabilité contractuelle (2).
1. L’invocation des conditions de la responsabilité contractuelle pendant la crise du Covid-19
L’article 1217 du nouveau Code civil permet au créancier victime d’une obligation de « demander réparation des conséquences de l’inexécution ». La condamnation suppose une mise en demeure du débiteur9. Le créancier doit démontrer l’existence d’un manquement contractuel ayant entraîné le dommage (1.1) et un lien de causalité (1.2).
1.1 Le manquement contractuel ayant entraîné le dommage
L’établissement du manquement contractuel suppose de distinguer selon que l’obligation est de résultat10 ou de moyen11. L’obligation est de résultat lorsque le débiteur s’oblige à fournir un résultat au créancier. Il suffira alors de prouver que le résultat n’est pas atteint pour établir la violation de l’obligation contractuelle. En revanche, lorsque l’obligation est de moyens, le débiteur ne promet pas un résultat mais une mise en œuvre de tous les moyens que mettrait en œuvre une personne raisonnable pour atteindre le résultat. En pratique, la distinction se fait essentiellement en fonction de la volonté des parties et sa qualification dépend de l’intensité de l’engagement pris par le débiteur à l’égard du créancier. Ainsi, pendant la période de la crise sanitaire, il faudrait regarder les stipulations contractuelles pour déterminer si le débiteur (par exemple, un commerçant) a souscrit une obligation de résultat ou celle de moyen. Lorsque l’obligation de résultat n’est pas atteint, le manquement contractuel peut être caractérisé sans difficultés et le créancier victime du manquement contractuel bénéficie d’une présomption. Lorsque l’obligation est de moyen, il incombe donc au créancier victime du manquement contractuel de le démontrer.
S’agissant du dommage, selon l’article 1231-3 du nouveau Code civil, son existence doit être caractérisée pour permettre le jeu de la responsabilité contractuelle. Seul le dommage prévisible est en principe réparé. Or, la crise du Covid-19 pourrait constituer un dommage imprévisible, nous le verrons plus tard, si tel est vraiment le cas et si la crise sanitaire est vraiment exonératoire.
1.2 Le lien de causalité
Aux termes de l’article 1231-4 du nouveau Code civil, le lien de causalité doit être caractérisé pour déterminer la responsabilité contractuelle du débiteur. Il existe deux théories pour déterminer le lien de causalité : la théorie de la causalité adéquate et celle de l’équivalence des conditions. La théorie de la causalité adéquate permet de discriminer les faits ayant pu conduire à un dommage pour ne retenir que les éléments les plus déterminants. En pratique, cette théorie est retenue en matière de la responsabilité contractuelle. Pendant la crise sanitaire, la caractérisation du lien de causalité ne posera aucune difficulté si le dommage issu d’un manquement contractuel est directement causé par la mauvaise exécution du contrat.
Ainsi, l’invocation des conditions de la responsabilité contractuelle semble être possible pendant la crise sanitaire. Reste à voir s’il existe des remèdes permettant d’écarter le régime de la responsabilité contractuelle.
2. Les possibilités d’écarter le régime de la responsabilité contractuelle pendant la crise du Covid-19
Dans le régime de responsabilité contractuelle, les cas d’exonération (2.1) pourraient écarter la sanction (2.2)
2.1 L’exonération de la responsabilité contractuelle
Le lien causal établi entre le dommage et le fait générateur peut être écarté par le responsable invoquant une cause étrangère. La cause étrangère est un événement extérieur au responsable ayant joué un rôle causal dans la production du dommage. Cette cause étrangère peut prendre la forme d’un cas fortuit (événement naturel) ou d’un événement déclenché par l’homme (par exemple, une guerre). Il existe donc deux cas d’exonération du responsable, celui de l’exonération légale et celui de l’exonération conventionnelle.
S’agissant d’abord de l’exonération légale, elle peut être totale ou partielle. D’abord, une exonération peut être totale et le débiteur peut alors s’exonérer totalement de sa responsabilité par preuve d’un cas de force majeure. Aux termes du nouvel article 1218 alinéa 1er du Code civil, la force majeure repose sur trois éléments. Il faut que l’empêchement d’exécution soit causé par un événement échappant au contrôle du débiteur, raisonnablement prévisible au moment de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. Dans ce sens, un événement de force majeure doit être extérieur, imprévisible et irrésistible. Aujourd’hui, aux termes de deux arrêts d’assemblée plénière de la Cour de cassation, en date du 14 avril 2006, la jurisprudence n’exige plus le cumul des trois conditions. Il est donc possible de considérer que que si la jurisprudence ne vérifie pas formellement l’existence d’extériorité, c’est en raison d’une divergence d’appréciation de ce caractère entre les parties12.
Cependant, cette exonération est certes encourageante mais elle sera difficilement invocable devant un juge. D’abord, il y a une controverse dans la jurisprudence en matière de pandémie. Les épidémies telles que la grippe H1N113, le virus de dengue14, la chikungunya15, n’ont pas été jugés comme des crises sanitaires constitutives d’un événement de force majeure. La jurisprudence considère dans la plupart des cas, que les maladies étaient connues et les risques de diffusion et les effets sur la santé, n’étaient pas assez mortelles pour justifier le refus d’exécution du contrat. Une épidémie n’est pas nécessairement ni automatiquement un cas de force majeure16. La jurisprudence n’a pas encore jugé que le Covid-19 constituait le cas de force majeure, rien n’est donc sûr que cette prétention aura des chances d’aboutir permettant au débiteur d’échapper à la responsabilité contractuelle. Il faudrait donc laisser du temps à la jurisprudence de juger ce cas de figure pour en être sûr de la réussite de ce type d’exonération. À l’inverse, si la jurisprudence sera positive à la reconnaissance de la force majeure pour la crise sanitaire du Covid-19, tout dépendra alors de la temporalité de l’empêchement de l’exécution du contrat. Dans ce sens, aux termes de l’article 1218 alinéa 2 du Code civil, si l’empêchement est temporaire, l’exécution sera suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. En revanche, si l’empêchement est définitif, le contrat sera alors résolu de plein droit et les parties seront donc libérées de leurs obligations. Dans ce cas, les commerçants pourront échapper à la responsabilité contractuelle.
En tout état de cause, les commerçants devraient envisager une exonération partielle. En d’autres termes, lorsque la cause étrangère ne présente pas les caractères de la force majeure et n’est pas du tout exonératoire, si le créancier victime de l’inexécution a commis une faute, et non un simple fait ayant contribué au dommage, le débiteur peut se justifier par la culpabilité d’une faute causale de la victime17, pour échapper partiellement à la responsabilité contractuelle.
S’agissant ensuite de l’exonération conventionnelle, il est question ici de savoir si un commerçant, professionnel, peut valablement et efficacement limiter sa responsabilité et l’invoquer pendant la crise sanitaire du Covid-19. Tout d’abord, les articles L. 212-1 et L. 212-2 du Code de la consommation déclarent abusives les clauses qui ont pour objet de créer, au détriment du consommateur ou de non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Pour identifier ces clauses, le pouvoir réglementaire18, après injonction du pouvoir législatif19, a établi une liste noire de 12 stipulations irréfragablement présumées abusives20 et une liste grise de 10 clauses présumées abusives jusqu’à la preuve contraire21. S’agissant plus spécifiquement des clauses limitatives de responsabilité, l’article R. 212-1 6° du Code de la consommation, présume abusives, de manière irréfragable, les clauses ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à une quelconque de ses obligations ». sont donc irréfragablement présumées abusives les clauses limitatives de responsabilité. Les personnes protégées par ce dispositif, sont les consommateurs et les non-professionnels22. S’il s’agit d’une contrat entre professionnels, ils ne sont pas concernés par ce dispositif.
La clause limitative de responsabilité, en vertu du Code de la consommation, ne peut pas être invoquée par les commerçants dans les litiges qu’ils ont avec d’autres professionnels. De plus, cela ajoute un problème à leur malheur puisqu’ils ne peuvent pas stipuler une clause de responsabilité dans leur contrat de vente. Les consommateurs pourront facilement faire tomber la clause et saisir la justice pour réparer leur préjudice. Toutefois, il est nécessaire de se tourner vers le droit commun des obligations pour voir si la clause limitative de responsabilité a vocation d’exister dans les contrats entre les professionnels ou si elle demeure non envisageable.
À ce titre, l’article 1171 du nouveau Code civil, applicable aux seuls contrats d’adhésion, répute non écrite « toute clause qui créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Ainsi, l’article 1171 alinéa 2 du même Code précise, que « l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». Autrement dit, au sens de l’article 1171 du nouveau Code civil, pour faire tomber la clause limitative de responsabilité, deux conditions doivent être réunies. La clause doit figurer dans un contrat d’adhésion et créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Il faudrait donc d’abord, déterminer si le contrat est bel est bien un contrat d’adhésion. Or, l’article 1110 du nouveau Code civil définit le contrat d’adhésion comme celui « dont les conditions générales soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Il s’agit donc d’un contrat dont les conditions générales sont déterminées par un seul des contractants et soustraites à la négociation. Ensuite, il faut déterminer si la clause limitative de responsabilité ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Cependant, les textes du Code civil ne précisent pas le terme « déséquilibre significatif », cette notion est une reprise identique de l’article L. 212-1 du Code de la consommation qui définit les clauses abusives. Ainsi, les solutions applicables en matières des clauses abusives en droit de la consommation sont reprises à l’identique par les juges appliquant le nouvel article 1171 du Code civil. Toutefois, la clauses limitative de responsabilité est invocable entre professionnels pendant la crise du Covid-19 afin d’échapper à la responsabilité contractuelle, à conditions de démontrer que cette clause ne figure pas dans un contrat d’adhésion, et qu’elle ne crée pas un déséquilibre significatif. Le créancier de l’obligation n’aura plus d’autre choix que d’envisager un autre fondement.
2.2 La sanction
Aux termes de l’article 1224 du nouveau Code civil, la sanction est d’abord une résolution contractuelle sous trois formes. D’abord, en présence d’une clause résolutoire dans le contrat, la résolution peut être conventionnelle. Ensuite, en absence d’une clause résolutoire, la résolution peut être unilatérale aux risques et périls de son auteur, par émission d’une notification au débiteur. Enfin, la résolution peut être judiciaire à la demande du créancier victime de l’inexécution. S’agissant de la réparation du dommage, au sens de l’article 1217 du Code civil, la réparation peut intervenir par le biais d’une exécution forcée, de la diminution du prix, la résolution du contrat et d’une allocation des dommages et intérêts. Toutefois, les sanctions ne sont pas cumulatives mais les dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. Pendant la crise du Covid-19, les commerçants risquent toutes ces sanctions.
1 Julien Boitel, « Quand un petit commerçant fait appel au Secours catholique », Le Télégramme, 20 septembre 2020 : www.letelegramme.fr
2 Définition de la responsabilité contractuelle, Liternaute : www.liternaute.fr
3 Définition de la responsabilité délictuelle, Liternaute : www.liternaute.fr
4 Loi n° 98-289 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux
5 Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation
6 Loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale
7 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
8 Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
9 Article 1231 du nouveau Code civil
10 Article 1231-1 du nouveau Code civil
11 Article 1197 du nouveau Code civil
12 Cass.civ 1re ., 14 octobre 2010
13 CA de Besançon, 8 janvier 2014
14 CA de Nancy, 22 novembre 2010
15 CA de Basse-Terre, 17 décembre 2018
16 Ludovic Landivaux, « Contrats et coronavirus : un cas de force majeure ? Ça dépend… », Dalloz, Actualités : www.dalloz-actualites.fr
17 Cass.civ 1re ., 17 janvier 2008
18 Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 portant application de l’article L. 132-1 du Code de la consommation
19 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie
20 Article R 212-1 du Code de la consommation
21 Article R 212-2 du Code de la consommation
22 Article liminaire du Code de la consommation
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