Les forces de l'ordre sont-elles injustes?
- arborescence17
- 17 déc. 2020
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 janv. 2021

Par Ilya Pavlovitch Golovtchenko
En septembre dernier le Ministère de l'intérieur présentait son nouveau schéma de maintien de l'ordre. Ces nouvelles mesures ont fait polémique et ont été jugées comme "liberticides"1. Le projet de loi sur la "sécurité globale" déposé le 20 octobre dernier, suivi du "passage à tabac" d'un jeune homme pour le non port du masque par les trois policiers2, faisaient l'objet d'un débat violent et anti forces de l'ordre sur les réseaux sociaux. À travers ces débats, on pourrait être persuadés que les actions d'une majorité des policiers en France sont injustes et que la loi tolère cette injustice.
"Le plus grand mal, à part l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa faute"3. Cette citation illustre parfaitement le sentiment des utilisateurs des réseaux sociaux à l'égard des forces de l'ordre. Les affaires Théo, Adama Traoré, les violences policières durant les actes des Gilets jaunes, et d'autres bavures policières ont été débattus de manière violentes sur les réseaux sociaux où les internautes ont exprimé leur haine envers les forces de l'ordre car les policiers responsables de ces bavures n'ont pas été "punis" par la justice comme ils le souhaitaient. À la lecture des commentaires virulents sur les réseaux sociaux, on croirait que les actions des forces de l'ordre sont injustes et qu'on devrait se méfier d'eux pour éviter de passer un sale quart d'heure.
L'injustice est une notion qui revient souvent dans l'esprit des internautes. L'injustice se caractérise par l'ensemble d'actions non-conformes à la justice. Cet ensemble d'actions est soit contraire à la loi, soit contraire à la morale. Les forces de l'ordre désignent un ensemble des institutions dont le travail est de veiller à l'ordre public et au respect de la loi. Il parait tout à fait choquant et contradictoire de voir un membre de forces de l'ordre (police et gendarmerie) être injuste. Il parait également choquant de voir un membre des forces de l'ordre ne pas respecter la loi alors que son travail est de veiller au respect de celle-ci. "Ils l'ont tabassé dans la vidéo, c'est illégal, les policiers ne respectent pas la loi" ou bien "Comment peuvent-ils tabasser ce pauvre homme à trois? Ils n'ont aucune morale" : ces commentaires reviennent de manière fréquente sous les vidéos des interpellations. Les internautes qualifient ces actions comme étant illégales et immorales et donc, injustes. Les forces de l'ordre, à la lecture des commentaires sur les réseaux sociaux, paraissent comme étant des hommes injustes, immoraux et irrespectueux de la loi.
À la lecture de ces commentaires sur les réseaux sociaux, on peut alors se poser la question suivante. Les forces de l'ordre françaises sont-elles vraiment injustes? ou sont-elles plutôt mal ciblés par ces accusations?
Les injustices sont présentes dans toutes les sociétés, même dans celles qui sont démocratiques. Toutefois, il est important de répondre à cette question pour ne pas se tromper de causes dans ces injustices.
À la lecture des commentaires sur les réseaux sociaux, les forces de l'ordre sont injustes mais cette apparence est illusoire. Les forces de l'ordre sont mal ciblées par ces accusations.
L'apparence illusoire de l'injustice des forces de l'ordre
"Et les hommes ont tant de crédulité, ils se plient si servilement aux nécessités du moment que le trompeur trouvera toujours quelqu'un qui se laisse tromper"4.
(Nicolas Machiavel )
Les réseaux sociaux sont les meilleurs trompeurs de tous les temps. Dans le fil d'actualité, les gens voient des statuts, des articles et des vidéos en train de défiler du matin au soir. Les gens font une sorte de "vote" en mettant des likes ou des émoticônes en fonction de leur humeur. Tout le monde commente pour donner son opinion. Nous sommes dans un pays de libertés où la liberté d'expression est garantie. Toutefois, personne ne lit vraiment les statuts sur les réseaux sociaux, personne ne remet en question des vidéos qui sont publiées. La plupart des internautes jugent une affaire au titre de l'article sans lire le fond. Plus précisément, personne ne se donne la peine de lire l'article en entier pour donner son avis et personne ne prend la peine de se demander ce qu'il s'est passé avant ou après la vidéo qu'ils ont vu dans leur fil d'actualité. Les gens se basent sur les humeurs d'autres personnes, et ils donnent leurs avis influencés par ces émotions. En conséquences, tout le monde est dans le faux et personne ne cherche à découvrir la vérité.
Dans l'exemple d'une vidéo où on voit un policier frapper un individu au sol, personne ne sait ce qu'il s'est exactement passé avant ou après la vidéo, mais tout le monde s'exprime sur l'injustice des forces de l'ordre. Personne ne se demande qu'il faudrait attendre la fin de l'enquête pour voir un peu plus clair dans cette affaire. La même réaction des internautes on pouvait la voir pendant l'affaire Traoré5 où tout le monde insultait la police, tout le monde jugeait la police mais personne ne connaissait quoi que ce soit de l'affaire. Plus tard, nous avons appris que ce fameux Adama Traoré a violé un codétenu et qu'il n'était pas blanc comme neige6. Tout le monde a pris la peine de défendre un délinquant, d'insulter la police, mais personne n'a attendu la fin de l'enquête pour apporter un avis constructif. À cause des réseaux sociaux, nous vivons tous dans une grotte telle qu'elle a été décrite par Platon dans l'allégorie de la caverne7. Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans une caverne mais plutôt dans un appartement bien meublé, au chaud, où nous sommes bien confinés. Au lieu de voir des ombres sur les murs comme cela été le cas dans l'allégorie de la caverne, nous voyons défiler des vidéos et des images sur les réseaux sociaux. Si Platon était vivant à notre époque, il appellerait ça une "Allégorie de l'appartement pendant le confinement". Platon nous a prévenu que nous devons sortir de notre confort pour découvrir la vérité mais nous ne le faisons pas. Au lieu d'attendre la fin de l'enquête, de chercher les informations par nous-mêmes, nous nous contentons des informations que nous trouvons sur les réseaux sociaux. Pour cette raison, l'injustice des forces de l'ordre n'est qu'une illusion qu'on voit sur internet. Pour dire vraiment qu'il y a une injustice, il faudrait plutôt comparer les violences policières réalisées en France et celles qui se pratiquent dans d'autres pays. Il faudrait comparer le système pénal français aux systèmes pénaux des pays étrangers. Contre toute attente, nous découvrirons qu'à l'étranger, la police est corrompue, elle arrête les gens sans aucune raison valable, elle condamne les gens sans aucun procès et là, nous pourrons dire qu'en France nous nous en sortons pas si mal.
Les forces de l'ordre : mauvaises cibles
"Qui juge légèrement, se trompe lourdement"8
(Claude-Victor Boiste)
Lorsqu'une personne de nationalité étrangère commet un crime sur le sol français, les gens de droite ont une réaction virulente. Les gens de gauche ont une réaction inverse et disent qu'il ne faut pas faire "d'amalgames" car "ils ne sont pas tous comme ça". D'accord, dans ce cas là, lorsqu'un policier commet une bavure, pourquoi personne ne dit "pas d'amalgames, les flics ne sont pas tous comme ça"? Nous n'avons pas le droit de faire certaines amalgames puisqu'elles sont jugées trop sensibles mais pourquoi on peut tout dire lorsqu'il s'agit des forces de l'ordre? Tout simplement parce qu'il est trop facile de juger à partir des éléments qui sont à la portée de tous. Il est beaucoup plus difficile de critiquer quelque chose et d'apporter un jugement constructif à partir des éléments que nous avons récolté de manière objective. Il est également très facile de juger sans avoir une patience pour attendre la fin de l'enquête. Il est très facile de juger en absence d'autres éléments de faits. Les internautes se basent quasiment tous sur ce qu'ils voient dans leur fil d'actualité, sans aller chercher ailleurs parce qu'il est plus facile de lire un statut Facebook. En conséquences, ils apportent un jugement facile envers les forces de l'ordre et se trompent de cible lourdement.
Si les internautes cherchaient plus loin, ils verraient par exemple, que les bavures policières en France sont minimes par rapport aux autres pays. L'ONU n'a pas classé la France au même niveau que Zimbabwe concernant les violences policières9, là encore il s'agissait d'une rumeur alimentant la haine contre les forces de l'ordre sur les réseaux sociaux. Au lieu de passer son temps sur les réseaux sociaux, à donner son avis sur des informations issues des Fake news, les internautes anti-système feraient mieux de rechercher des vraies informations pour juger utilement. Les forces de l'ordre ne font que obéir aux ordres, même lorsqu'ils utilisent la violence. Les forces de l'ordre sont tout à fait légitimes de recourir à la violence pour protéger l'ordre public. Si les forces de l'ordre utilisent la violence, c'est peut-être parce que certains individus les ont provoqué? ou bien parce que la hiérarchie a donné l'ordre? Pourquoi alors s'en prendre aux forces de l'ordre au lieu de se prendre aux manifestants violents, aux délinquants ou encore au ministre de l'intérieur qui donne l'ordre? S'en prendre aux forces de l'ordre, ne changera rien du tout. Nous vivons dans un pays démocratique, il faudrait trouver la cause et la discuter pour trouver des solutions. Désigner un coupable c'est trop facile et complètement inutile.
En conséquence, il est dangereux de juger facilement. Aujourd'hui, les forces de l'ordre n'osent pas intervenir dans certains quartiers sensibles. Beaucoup de vidéos montrent les policiers en train de se faire insulter, lyncher, alors qu'ils ne répondent pas. L'exemple le plus récent est l'agression de deux policiers dans une cité à Valenciennes, alors qu'ils sont intervenus pour arrêter un rodéo urbain qui empêchait la tranquillité des habitants10. Qui se sent en sécurité en voyant cette vidéo? Personne. Il ne faut pas s'étonner que la loi pour la sécurité globale interdise de filmer la police en intervention. En présence de la menace terroriste et de la volonté des délinquants de "casser du flic", ce projet de loi est tout à fait légitime. Il n'y a pas de liberticide, cette loi est nécessaire. Le fait de vouloir "casser du flic" est liberticide puisque c'est contraire au droit de vivre en sécurité et en tranquillité. On pense souvent à la liberté de soi de manière individualiste, mais pensons-nous à celle de tous les citoyens ainsi qu'à celle des membres des forces de l'ordre? Pensons-nous à leurs familles qui peuvent recevoir des menaces après la vidéo publiée sur les réseaux sociaux?
En voyant ces vidéos où les forces de l'ordre sont inactifs devant les délinquants de cité, on peut légitimement se dire que "demain si je me ferai tabasser dans la rue, la police n'interviendra pas par peur de la bavure". Tout ce que les internautes anti-flics font sur les réseaux sociaux, c'est d'augmenter encore ce risque d'inaction totale des forces de l'ordre. Dans un avenir proche, si cette "justice" numérique continue, on va alors désarmer la police. Dans ce cas, nous seront tous en danger parce qu'il n'y aura vraiment personne pour nous protéger. On aura alors deux choix: celui de partir dans un pays étranger où la police est moins gentille qu'en France ou celui de rester en France pour participer à une guerre civile.
1 Projet de loi "sécurité globale": moins de liberté, plus de répression, Mille bâbords, 15 novembre 2020: www.millebabords.org
2 Laure Ducos, La vidéo choc d'un producteur tabassé pour non-port du masque: les trois policiers en cause suspendus, Midi Libre, 26 novembre 2020: www.midilibre.fr
3 Raphaël, Le nectar des citations: Recueil positif, Publishroom, 13 mai 2020
4 Nicolas Machiavel, Le prince, ch. XIII
5 Il s'agit d'une affaire où un jeune homme de 24 ans est décédé lors de son arrestation. L'article pour comprendre l'affaire Traoré se trouve à l'article suivant : Bertrand Métayer, Cinq minutes pour comprendre l'affaire Adama Traoré, Le Parisien, 3 juin 2020: www.leparisien.fr
6 Affaire Adama Traoré: Son ancien co-détenu qui l'accuse de viol a été indemnisé, 20 minutes, 22 juillet 2020: www.20minutes.fr
7 Platon, La République, Livre VIII
8 Victor-Augustin Vanier, Dictionnaire grammatical critique et philosophique de la langue française, "L" auteur, 1836, p. 381
9 Sarah Boumghar, Non, l'ONU n'a pas classé la France au même niveau que le Zimbabwe concernant les violences policières, Libération, 29 juillet 2019 : www.liberation.fr
10 Policiers agressés à Valenciennes : "On est très choqués"; indique le syndicat Alliance, LCI, 14 décembre 2020: www.lci.fr
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