La pratique du spiritisme chez les adolescents
- arborescence17
- 5 nov. 2020
- 7 min de lecture

Par Ilya Pavlovitch Golovtchenko
Aujourd’hui, beaucoup d’adolescents sont séduits par le paranormal. Ce constat est fait à partir des films, séries et romans appréciés par les jeunes1. Cette passion pour le surnaturel dans les œuvres de science fiction a influencé les adolescents à faire certains Challenges complètement glauques et flippants2.
« La croyance au monde surhumain des esprits et des fantômes se retrouve chez tous les peuples : née de l’aspiration impatiente qui nous porte sans cesse à nous échapper du réel pour aborder un univers mystérieux où le temps et l’espace n’existent plus, elle a été entretenue, de génération en génération, par l’ignorance des phénomène naturelle »3. Cette citation du célèbre journal Magasin pittoresque fondé par Saint-Simonien Édouard Charton au XIXe siècle, témoigne d’une réaction médiatique négative face à l’arrivée massive de la pratique du spiritisme du XIXe siècle. Pour autant, le spiritisme a été très apprécié par les français quelques années plus tard.
Le spiritisme est une science occulte fondée sur l’existence et la manifestation des esprits. Cette pratique est née aux États-Unis en 1848, qui se répand en 1852 au Canada, au Mexique et en Europe, notamment sous la forme des « tables tournantes », « tables parlantes » et « frappantes »4. En 1853, le phénomène se répand en quelques semaines dans les grandes villes européennes dont le sujet a été abordé dans la presse. Les célèbres peintres, écrivains, scientifiques, ont tous eu recours au spiritisme. Pour exemple, Victor Hugo a fait tourner les tables avec Madame de Girardin5.
Le terme américain « spiritualism » a été francisé par le terme « spiritualisme ». Or, cette appellation référait également à un illustre courant philosophique qui n’avait aucun rapport avec la pratique de tables tournantes. Pour chasser toute ambiguïté, le terme « spiritualisme » a été donc remplacé par le terme du « spiritisme » par Alan Kardec. Dans ce sens, Alan Kardec a également apporté sa contribution à la pratique américaine jusque là peu théorisée, en transformant le spiritisme en une philosophie dans son célèbre ouvrage du Livre des esprits (1857)6. Grâce à ses multiples théories, Alan Kardec a gagné en notoriété à un point que le spiritisme est devenu une « religion médiumnique » en France et dans les pays de culture catholique comme l’Italie, la Belgique ou l’Espagne7. Cependant, il y avait une sorte de concurrence entre le spiritisme français et le « spiritualisme » américain. Les américains ont longtemps rejeté les théories kardéciennes en raison de la dimension philosophique. Toutefois, le spiritisme a été longtemps pratiqué entre le XIXe et début du XXe siècles mais après la seconde guerre mondiale, grâce aux avancées technologiques et le progrès de l’athéisme, cette pratique a été majoritairement abandonnée. Par ailleurs, l’église catholique elle-même réprime cette pratique et considère que le spiritisme ne nous permet pas de communiquer avec les défunts. Selon elle, cette pratique sert surtout à faire appel aux démons qui s’installeront petit à petit chez le pratiquant pour le nuire, le posséder et prendre son âme. Les croyants de religions monothéistes sont tous contre la pratique du spiritisme.
La question qui devrait être posée est la suivante. Pourquoi les adolescents se mettent à une pratique aussi glauque qui a été abandonnée depuis longtemps ?
Cette question permet d’étudier le comportement des adolescents dans leur pratique d’activités dangereuses et insouciantes. Aujourd’hui, les adolescents pratiquent du spiritisme en raison de leur désir d’avoir peur. Il s’agit d’une sorte de défis lancés par les adolescents et d’un moyen de désobéissance aux règles.
Le désir de la peur
« La peur, c’est l’envers du désir »8. Telle est la définition de la peur proposée par le psychanalyste français Jacques Lacan. En effet, la peur n’est pas une sensation agréable. On se met à angoisser, à trembler et à produire des actions irrationnels. Cependant, Freud différencie l’angoisse de la peur. Il affirme que l’angoisse est sans objet alors que la peur est contraire à l’objet. Autrement dit, l’angoisse est réaction émotive devant quelque chose (vor etwas) et devant une situation traumatique (Hilflosigkeit). L’angoisse est la réaction originelle au dés-aide dans le trauma qui sera reproduit ultérieurement dans la situation du danger comme un signal d’appel à l’aide9. Quant à la peur, il s’agit d’une émotion qui accompagne postérieurement l’angoisse. Si la peur est l’envers du désir, comment peut-on expliquer le désir de se faire peur par tout moyen ? Selon le psychiatre français Christophe André, les enfants aiment se faire peur mais il s’agit surtout d’une peur maîtrisée à travers un jeu, un récit ou un film. Certains apprentissages ne passent que par la mise en situation. Pour apprendre le piano, il faut s’exercer. Pour apprendre à maîtriser la peur, c’est pareil. Quand le corps est en jeu, il faut ressentir de l’intérieur10. On peut en déduire également que pour maîtriser l’angoisse, il faut se mettre dans des situations angoissantes via des jeux. Les adolescents pratiquent des jeux dangereux, glauques et flippants, en faisant appel aux esprits grâce à une planche de Ouija, cela ne représente qu’un jeu pour mettre en œuvre une situation angoissante provoquant la peur. À travers le spiritisme, les adolescents pensent donc apprendre à maîtriser la peur mais il pourrait s’agir également la possibilité d’un éventuel défi.
Le défi de l’adolescence
Les adolescents sont vulnérables sur les réseaux sociaux. Beaucoup de challenges sur les réseaux sociaux inquiètent les pouvoirs publics car la santé physique et mentale des adolescents est en jeu11. Depuis l’apparition des réseaux sociaux, beaucoup de défis ont été lancés par les jeunes. « Momo Challenge », « Charlie Charlie Challenge », et d’autres défis glauques et flippants qui ont été appréciés par les adolescents. Selon les spécialistes, les motivations des joueurs des jeux de défi s’appuient sur le principe du « t’es pas cap »12. Il s’agit donc d’un phénomène du groupe de pairs de préadolescents ou d’adolescents. Un adolescent choisit de prendre des risques avec souvent le souhait que son exploit soit apprécié par ses camarades, que cet exploit soit filmé et diffusé. Les autres adolescents le suivent et la tendance se lance sous la forme d’un Challenge sur les réseaux sociaux. Les autres voulant faire « comme lui » produisent une réaction en chaîne et le défi devient viral. Ces pratiques du spiritisme sous forme d’un défi peuvent être inspirées par les films américains tels que Paranormal activity, mais elles peuvent aussi répondre à une pression exercée par un groupe de pairs ou une communauté de jeunes sur les réseaux sociaux13. Un adolescent qui ne souhaite pas se sentir dégonflé, accepte d’exécuter un défi. Le caractère de ces jeux est souvent intentionnel14. Lorsque cette notion d’engagement délibéré est présente, cela signifie que ce jeu détient pour le jeune malgré son apparence dangereuse, voire stupide, une fonction, un bénéfice pour lui. On y retrouve, par exemple, le besoin de satisfaire un fort besoin de reconnaissance vis à vis de ses pairs ou une communauté sur les réseaux sociaux15. Le défi produit une angoisse, peur, inquiétude mais aussi une admiration qui devient le leitmotiv pour les jeunes en perte de repères identitaires dans lequel ils peuvent progressivement s’enfermer16. La pratique du spiritisme chez les adolescents ne représente rien d’autre qu’un défi à relever pour être apprécié par leurs pairs ou par leur communauté sur les réseaux sociaux. Toutefois, cette pratique peut paraître également comme un acte de rébellion contre certaines règles.
La transgression des règles
À l’adolescence il est tout à faire normal d’avoir un comportement de rébellion. L’origine de cette désobéissance se trouve dans les modèles de désobéissance qui sont proposés aux enfants et aux adolescents par la société elle-même. Les mythes et les contes lus par les enfants ou adolescents nous proposent des modèles de désobéissance. Pour exemple, Antigone dans la pièce de Sophocle désobéit au roi Créon et enterre son frère17. Même s’il s’agit d’une narration qui montre aux adolescents des raisons légitimes de désobéissance, il s’agit quand-même d’un modèle de transgression des règles. Les mythes et les comptes sont différents de la réalité car dans la vraie vie, si on ne respecte pas certaines règles, on peut se mettre en danger. Un adolescent qui pratique du spiritisme avec ses amis, pourrait le faire non pas par défi mais par acte de résistance aux règles morales ou religieuses. Cependant, dans la pratique du spiritisme, que l’on croit ou non à l’existence des esprits, cette pratique met en danger la santé mentale des adolescents. Pour exemple, si un adolescent est issu d’une famille chrétienne, ses parents lui ordonnent expressément de ne pas recourir aux séances de spiritisme, à la tarologie, et autres pratiques occultes par crainte de faire appel aux démons. Forcément, pour se rebeller contre des règles morales et religieuses de sa famille, il fera recours à tout cela. Toutefois, après une telle pratique glauque et flippante, le jeune pratiquant du spiritisme pourrait avoir des cauchemars, suivi de manque de sommeil, de dépression, la fatigue et des mauvais résultats scolaires.
En conclusion, un adolescent influencé par les œuvres de la science fiction, recourt donc à la pratique du spiritisme par le désir d’avoir peur et de pouvoir la maîtriser. Il pourrait s’agir d’un défi pour sa reconnaissance devant ses camarades ou par une pure et simple transgression de règles morales ou religieuses imposées par sa famille. Or, chaque adolescent a une personnalité qui lui est propre. Chaque adolescent est différent par son caractère. Même si un adolescent considère qu’il est justifié de transgresser une règle qui lui est imposée, il pourrait mal vivre l’expérience du spiritisme et mettra en danger sa santé mentale.
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1 Marie Auffret-Péricone, Les adolescents séduits par le paranormal, La Croix, 24 avril 2012 : www.la-croix.com
2 Ex : « Charlie Charlie Challence » : «Charlie Charlie Challenge » : le nouveau jeu viral chez les ados expliqué aux « vieux », Franceinfo, 26 mai 2015 : www.francetvinfo.fr
3 Magasin pittoresque, XVIII, juin 1850, p. 192
4 R. Bastide, Le spiritisme au Brésil, Archives des sciences sociales des religions, 24, p. 3
5 Fanny Georges, Le spiritisme en ligne, La communication numérique avec l’au-delà, Les cahiers du numérique, Vol. 9, 2013/3, pp. 211-240
6 Ibid.,
7 Ibid.,
8 J. Lacan, La relation d’objet, Le Séminaire, Livre IV (1956-1957), Paris, Le Seuil, p. 345
9 S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993, p. 79
10 Nathalie Riché, Pourquoi les enfants aiment avoir peur ?, L’express, 1 novembre 2004 : www.lexpress.fr
11 Marie Briand-Locu, Les adolescents sont-ils vulnérables aux défis sur les réseaux sociaux ?, La Croix, 26 septembre 2018 : www.la-croix.com
12 G. Michel, « Les conduites à risques chez l’enfant et l’adolescent : l’exemple des jeux dangereux & violents », La revue du praticien, Médecine générale, 2009, 822, pp. 350-352
13 G. Michel, Psychopathologie des jeux dangereux chez les jeunes : lorsque le plaisir est conditionné par la violence et le risque, « Psychotropes », 2015/2, Vol. 21, pp. 53-72
14 G. Michel, La prise de risque à l’adolescence. Pratique sportive et usage de substances psycho-actives, 2009, Paris, Masson, coll. « Les âges de la vie ».
15 G. Michel, Psychopathologie des jeux dangereux chez les jeunes : lorsque le plaisir est conditionné par la violence et le risque, « Psychotropes », 2015/2, Vol. 21, pp. 53-72
16 Ibid.,
17 F. Henaff, Les vertus de la désobéissance, Actualités en analyse transactionnelle, 2016/3 n° 155, pp. 69-71
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